En 1922, le « peintre aveugle » triomphe à Paris (Ouest-France).

Jean-Julien Lemordant
Jean-Julien Lemordant avait un sens inné de la mise en scène. Prisonnier du personnage de « peintre aveugle » qu’il s’était créé, il a mystifié ses admirateurs pendant des années. On le voit ici entrer au Trocadéro où il assistera à son triomphe en 1922, dans la gigantesque salle de spectacle du palais néo byzantin. En bas, étude pour le plafond du théâtre de Rennes.

En mars 1922, le grand artiste et héros de guerre breton, Jean-Julien Lemordant, assiste à son apothéose, au palais du Trocadéro. Acclamé, le « peintre aveugle » ne dit rien de son troublant secret…

Dimanche 12 mars 1922, Paris. Sous le regard des passants intrigués, un interminable ballet d’automobiles anime les abords du palais du Trocadéro. À l’intérieur, les gradins sont déjà bondés. Les loges et les tribunes pleines à craquer. Combien sont-ils ? 4 500. Peut-être plus.

Palais du trocadéro
c’est au palais du trocadéro que jean-julien Lemordant a donné la conférence de son apothéose, le 12 mars 1922, il y a cent ans. cette photographie d’époque montre le bâtiment malheureusement démantelé en 1935.

La gigantesque salle néobyzantine bourdonne d’officiers et d’officiels, scintillants de médailles et de montres en argent, au milieu de la multitude endimanchée. Il y a là le ministre des Travaux publics, Yves Le Trocquer, les académiciens Maurice Barrès et Jean Richepin, la duchesse de Rohan, l’ancien président de la République Paul Deschanel…
Il est 15 h. Soutenu par un ami, Jean-Julien Lemordant vient d’apparaître sur la scène et clopine jusqu’à une chaise longue. « Vive Lemordant ! » « Vive la Bretagne ! » « Vive la France ! ». Le « peintre aveugle » aux lunettes noires, l’héroïque combattant, huit fois percé au champ d’honneur, est là !

Palais du trocadéro
c’est dans la gigantesque salle du palais du trocadéro, haute de 31 mètres, que jean-julien lemordant a connu son plus grand moment de gloire, le 12 mars 1922. photographie d’époque.

« La Bretagne est ici, venue de partout »

Dans la « cathédrale républicaine » du Trocadéro, l’artiste de 44 ans savoure sa béatification laïque. Bienheureux le peintre martyr qui, sacrifice suprême, a perdu la vue par amour pour son pays. « Vive Lemordant ! »
Gaston Duveau prend la parole.« Lemordant, c’est devant la Bretagne que je parle. Elle est ici représentée par les hautes personnalités qui nous entourent, représentée aussi par ces associations accourues avec tant d’empressement à notre appel et dont l’affectueuse solidarité – qui vient de s’exprimer sur la tombe du Soldat inconnu – s’affirme aujourd’hui devant vous. Elle est ici. Venue partout. »
Le président des Enfants d’Ille-et-Vilaine enchaîne avec un portrait l’artiste dont il souligne la justesse du crayon et la vigueur des coups de pinceaux. Il raconte, tour à tour, la fabuleuse histoire du petit orphelin de Saint-Malo sans le sou du pensionnaire de l’École des Beaux-Arts de Rennes puis de Paris, du jeune appelé plein de fougue, du génial décorateur, du militant de la cause bretonne, de l’artiste humaniste qui a peint « l’âpre et sublime nature de Bretagne, les gens et les choses de la mer ».

Jean-Julien Lemordant
jean-julien lemordant après la guerre. l’artiste avait un très grand sens de la mise en scène.

Embrassades, accolades, sérénades

Artiste doué d’un immense talent, considéré, à l’époque, comme « le plus grand peintre de la Bretagne », Lemordant a produit une œuvre à la fois poétique et flamboyante dont l’un des plus fameux exemples est le plafond du théâtre de Rennes. Sa chapelle Sixtine ! « Il a peint des œuvres extraordinaires, souligne André Cariou, ancien directeur du musée des Beaux-Arts de Quimper, auteur, en 2006, d’un important ouvrage sur Jean-Julien Lemordant. Ses couleurs très vives se détachaient de l’art académique. Il est devenu très célèbre en 1908-1908 avec le grand décor de l’Hôtel de l’Épée de Quimper (1). »
Suivent les mots et le baiser de l’écrivain breton Charles Le Goffic, l’accolade du représentant de l’École des Beaux-Arts et le panégyrique de monsieur Guérault, président honoraire des Enfants d’Ille-et-Vilaine.
Et re- « Bravo ! » re- « Vive Lemordant ! » Voyez ces jolies Bretonne en costumes du pays qui le couvrent de fleurs ! Quel triomphe ! La salle chavire puis se tait tout net.

Jean-Julien Lemordant
étude pour le plafond du théâtre de rennes.

Lemordant, « bête de scène »

Lemordant va parler. Face à la foule, le héraut bleu horizon des « gueules cassées » ne tremble pas. Il a l’habitude des conférences sa parole est sûre. Son ton, bien réglé. Ses gestes calculés. Et, sans surprise, c’est sur un vibrant hommage à sa chère et lumineuse Bretagne qu’il commence son discours.
Puis, vient l’émouvant récit de « l’odyssée du 10e corps ». Au fil des conférences, l’histoire s’est un peu enrichie de nouvelles blessures et d’épisodes inédits, mais son fond est tout ce qu’il y a de plus vrai.

Jean-Julien Lemordant
le livre d’andré Cariou paru en 2006 est aujourd’hui épuisé. © édition palantines

Oui, Lemordant est un authentique héros de guerre. Oui, son engagement et son courage sont exemplaires. Oui, il a énormément souffert dans sa chair… « Il avait notamment reçu une balle au-dessus d’un œil qui avait pulvérisé toute la boîte crânienne à cet endroit-là, explique André Cariou. Il y a eu des versions extraordinaires de cette affaire. On a dit que ses yeux étaient sortis des orbites, quasiment tombés par terre, et qu’il les aurait remis en place lui-même. »

Jean-Julien Lemordant
jean-julien Lemordant après la guerre. blessé au genou, à la main, à la tête…

Témoin de son apothéose !

Les spectateurs du Trocadéro qui, en ce moment même, boivent les paroles du conférencier ne se doutent pas une seconde que le « peintre aveugle »… les voit ! « En fait, il n’a pratiquement jamais perdu la vue, reprend André Cariou. Il y a eu des moments, entre les opérations, où il voyait moins bien. Mais c’est tout. »
Pourtant habitué aux huiles de Paname et aux ors de la République, Henry Coutant, le journaliste parisien de L’Ouest-Eclair (l’ancêtre de Ouest-France), n’en revient pas. « Un homme vient d’assister vivant à son apothéose », écrit-il, tout chose.
Mais il y a autre chose que le public ignora. Puisque l’artiste voit en cachette, rien ne lui interdit d’enrichir son catalogue. Le tout étant de faire passer ces œuvres nouvelles pour des compositions d’avant-Grande-Guerre. « Il va commettre des erreurs invraisemblables, reprend André Cariou, amusé. Sur certains de ses dessins de guerre, par exemple, les soldats de 1914 portent des uniformes qui ne sont apparus que plus tard. »

Jean-Julien Lemordant
la presse américaine va suivre de près la tournée de jean-julien Lemordant aux États-Unis en 1919.

Lemordant ou la rage de vivre

« Lemordant a dû se débrouiller tout seul très tôt, conclut André Cariou. Il avait le sens de la survie dans l’adversité. Adolescent, c’était déjà un sacré débrouillard. »
C’est cette formidable volonté qui a permis à l’orphelin de Saint-Malo de devenir le riche et influent artiste parisien, un rien mythomane, ami des plus grands. C’est elle aussi qui lui a donné la force de survivre à la guerre et aux blessures civiles (Lemordant a été renversé par une voiture dans les années 1930) pour ne mourir que le 11 juin 1968, à l’âge de 89 ans.

Jean-Julien Lemordant
Ouest-France du 20 juin 1968. © Ouest-France

(1) Décor acquis par la Ville des Quimper et reconstitué au musée des Beaux-Arts.

Publié le 26 mars 2022 par Olivier RENAULT – Ouest-France ©

Rennes 1922, la ville et ses artistes de la Belle époque aux Années folles.

Le Musée des beaux-arts de Rennes présente jusqu’au 7 mai 2022, une exposition autour de l’école des Beaux-arts de Rennes.

Rennes 1922
Exposition « Rennes 1922, la ville et ses artistes de la Belle époque aux Années folles ».

M. Guillaume Kazerouni conservateur en charge des collections anciennes du Musée rennais, revient avec un siècle de recul, sur les élèves et professeurs liés à l’école régionale des beaux-arts de la ville (de 1881 à 1931).

  • Rennes 1922
  • Jean Boucher
  • Édouard Mahé
  • Camille Godet
  • Louis Roger
  • Marc'harit Houël & Jeanne Malivel
  • Camille Godet, Pierre Galle & Mathurin Méheut

L’exposition propose un retour sur les grands chantiers publics et privés qu’a connu la cité rennaise (hôtel de ville, opéra, piscine Saint-Georges, …).
Enfin, cet évènement est l’occasion pour le musée d’analyser la présentation des œuvres, ainsi que le marché de l’art à l’époque.

Jean-Julien Lemordant
Jean-Julien Lemordant (1878-1968) Esquisse pour le plafond du théâtre de Rennes, huile sur toile, collection du musée des Beaux-Arts de Rennes.

Cette exposition valorise les collections du Musée, parfois oubliées. Dans ce parcours, on retrouve de nombreux artistes ayant collaboré avec les manufactures quimpéroises au début du 20ème siècle.

Louis Henri Nicot
Louis Henri Nicot (1878-1944) Évangéline, pierre, collection particulière.

Un important catalogue richement illustré, accompagne l’exposition. Il est publié aux éditions Snoeck, avec le concours de l’association des Amis du Musée. Il est à souligner qu’un dictionnaire des artistes, clôture cet ouvrage.

  • Ernest Guérin
  • Jean-Julien Lemordant
  • Marc'harit Houël
  • École régionale des Beaux-Arts de Rennes
  • Camille Godet
  • Jean-Julien Lemordant & Mathurin Méheut
  • Camille Boiry
  • Armel Émile Jean Beaufils

Rennes 1922, la ville et ses artistes de la Belle époque aux Années folles, sous la direction de Guillaume Kazerouni et de Louis Deltour.

Textes d’Anne Henriette Auffret, Isabelle Baguelin, Stéphanie Bardel, Mathilde Boisselier, Charlotte Ciret, Louis Deltour, Delphine Galloy, Claire Gatti, Laurence Imbernon, Guillaume Kazerouni, Mathieu Le Mauff, Zoé Marty, Cécile Oulhen, Simon Poirier, Charles Robin et Alice Thomine-Berrada.

Livre broché avec rabats, 22 x 28 cm, 352 pages couleur
Éditions Snoeck/Musée des Beaux-Arts de Rennes – ISBN 9789461617255 – Prix : 39 €

Couverture du catalogue "Rennes 1922"

2022 – Amis du Musée et de la Faïence de Quimper ©

À l’Hôtel des ventes de Quimper, « L’Âme bretonne » fait un carton (Le Télégramme).

Broquet - Tiphaine Le Grignou
Cette petite statuette faisait partie des coups de cœur de Me Tiphaine Le Grignou. Elle a été adjugée 3 150 €.

382 000 €. C’est le total adjugé dimanche à l’Hôtel des ventes de Quimper, à l’occasion de la 18e édition de « L’Âme bretonne ». Ce jour-là, 575 lots étaient mis aux enchères.

« Le bilan est très positif. La salle était remplie et très dynamique. C’était agréable de retrouver une salle active ». Dimanche, l’Hôtel des ventes de Quimper a « renoué avec [sa] clientèle », à l’occasion de la 18e édition de « L’Âme bretonne », une vente imaginée par l’étude brestoise Adjug’Art et organisée depuis quatre ans en collaboration avec Me Tiphaine Le Grignou, commissaire-priseur quimpéroise. Et c’est donc la première fois depuis le début de la crise sanitaire que le site de l’avenue de Kerrien accueillait les amateurs dans des conditions « presque normales ».

« Quelques belles surprises »

Henry Moret - Tiphaine Le Grignou
« L’Enfer de Plogoff » a été adjugé 142 000 € : « La plus grosse enchère de la vente », souligne la commissaire-priseur.

En une journée, « la très grande majorité » des 575 lots ont trouvé preneur. Notamment cette huile sur toile de Henry Moret, « L’Enfer de Plogoff », estimée entre 80 000 et 100 000 € et adjugée 142 000 € (hors frais de vente). « Il s’agit de la plus grosse enchère », souligne Me Tiphaine Le Grignou, qui n’avait pas caché son intérêt pour ce tableau.

Parmi ses autres coups de cœur, la « Vierge noire au lempé, Bamako ». Cette statuette de Gaston Broquet estimée entre 700 et 1 000 € est partie pour 3 150 €. « Une pièce très intéressante, que l’on ne reverra pas d’ici un moment. Car c’est une pièce coloniale qui a été très peu produite. Et sa patine en or est exceptionnelle », appuie la commissaire-priseur. Elle évoque aussi « quelques belles surprises » : tels, ce vase globulaire signé Louis Garin, de la période Odetta, estimé entre 6 000 et 9 000 €, finalement adjugé 14 500 €, ou ce tableau de Lemordant, « Étude pour le pardon », vendu 6 000 €, soit trois fois plus que son estimation… Au total, les ventes réalisées dimanche s’élèvent à 382 000 €, hors frais.

Publié le 20/07/2021 par Sophie Benoit – Le Télégramme ©

La fresque de Belay de l’hôtel Kermoor mise aux enchères (Le Télégramme).

Pierre de Belay (Photo Pascale Tamalet).
L’une des grandes scènes de la fresque murale de Pierre de Belay.

L’hôtel Kermoor, à Bénodet, accueillera des enchères pas comme les autres le 1er décembre. Les cinq tableaux monumentaux de Pierre de Belay qui composent le décor de son restaurant y seront mis en vente. Une première étape pour la famille Daniel, qui envisage ensuite de se séparer de son établissement.

Ils ne seront pas trop de deux pour tourner cette page d’histoire Bénodetoise et bretonne. Les commissaires-priseurs Mes Tiphaine Le Grignou et Yves Cosquéric, vont se charger d’une vente aux enchères exceptionnelle, dimanche 1er décembre, à l’Hôtel Kermoor. Elle aura lieu au sein de l’hôtel, qui fut construit à l’emplacement d’un ancien manoir, propriété d’Alsaciens au début du XXe siècle.

Pierre de Belay (Photo Pascale Tamalet).
L’une des scènes de la fresque murale de Pierre de Belay.

Kermoor est, depuis sa construction, propriété de la famille Daniel. En 1923, Jean-Marie Daniel, aïeul de Jean-Charles Daniel, commande une fresque monumentale à Pierre Savigny de Belay (1890-1947), ami intime du poète quimpérois Max Jacob, pour orner les murs de son restaurant. Ce type de commande est à la mode à l’époque. Jean-Julien Lemordant a peint pour la salle à manger de l’hôtel L’Épée, à Quimper. À Concarneau, Douarnenez, Beg-Meil, des peintres proposent leurs services à des hôtels et des restaurants.

Véritables icônes de la Bretagne

C’est dans ce contexte que le peintre Quimpérois Pierre de Belay va réaliser cinq tableaux monumentaux. Il a alors 33 ans. Il a connu la guerre et les années bohèmes, à Montmartre, avec son ami Max Jacob. Il est alors éprouvé par le décès de son épouse et de deux de ses enfants, emportés par la tuberculose. Jean-Marie Daniel lui laisse carte blanche. De Belay imagine cinq scènes inspirées des célébrations religieuses et des fêtes profanes qui rythment la vie locale.

« Nous espérons que les musées, institutions privées ou publiques, mécènes, et grands chefs d’entreprise bretons sauront se mobiliser pour sauver cet ensemble unique ».

Sa vision de l’imaginaire breton va lui faire connaître le succès. Ses peintures sont aujourd’hui considérées comme de véritables icônes de la Bretagne et sont référencées dans de nombreux ouvrages. L’ancien conservateur du Musée des beaux-arts de Quimper, André Cariou, spécialiste de De Belay, en fera l’un de ses sujets d’étude. Il notera que ce décor est l’un des derniers qui soit encore en place et dans un état de conservation inespéré. Bien d‘autres œuvres ont été démontées, dispersées…

« Pas laisser partir notre patrimoine »

De Belay avait conçu son décor comme un tout. La famille Daniel a décidé de vendre les fresques séparément mais avec une faculté de réunion finale. « Elles seront mises en vente à 30 000 € l’unité, avec une enchère provisoire sur le tout », précise Me Yves Cosquéric. Originaire de Bénodet, ce dernier s’est beaucoup investi dans la préparation de cet événement. « Nous espérons que les musées, institutions privées ou publiques, mécènes, et grands chefs d’entreprise bretons sauront se mobiliser pour sauver cet ensemble unique. Nous avons trop vu d’emblématiques tableaux bretons, que ce soit de Mathurin Méheut comme de Pierre de Belay, qui ont quitté la Bretagne pour les États-Unis ou ailleurs… », émet-il.

Pierre de Belay (Photo Pascale Tamalet).
L’une des scènes de la fresque murale de Pierre de Belay.

D’ores et déjà, des acheteurs américains et un Russe se sont fait connaître. « Mais pour un ou deux des tableaux. C’est notre crainte ! Or, c’est une carte postale de la Bretagne des années folles. On ne doit pas laisser partir un élément essentiel de notre patrimoine ! », martèle Yves Cosquéric, qui table sur une cagnotte bretonne. Réponse le 1er décembre.

Pratique :
Vente aux enchères des cinq tableaux monumentaux de Pierre de Belay, dimanche 1er décembre, à partir de 14 h 15, hôtel Kermoor, corniche de la plage, à Bénodet.

Publié le 19 novembre 2019 – Le Télégramme ©

Vente « L’âme bretonne » de l’hôtel Ker-Moor » le 1er décembre 2019 – Bénodet.

Les études de Me Tiphaine Le GRIGNOU et Me Yves COSQUERIC s’associent pour mettre en vente les 5 toiles peintes en 1923, par l’artiste Pierre de Belay (1890-1947). Lors de cette vacation, un ensemble de faïences de Quimper sera présenté. Cette vente événement se tiendra à l’hôtel Ker-Moor à Bénodet.

Hôtel des ventes de Quimper, Maître Tiphaine Le Grignou & Adjug’art, Maître Yves Cosquéric
Corniche de la Plage, 29950 Bénodet – Dimanche 1er décembre 2019 à 14 h 30
Faïence de Quimper (110 lots) – expert : Didier Gouin
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Vous pouvez télécharger le catalogue de la vente.

Vente de l'hôtel Ker Moor à Bénodet

Nous reproduisons pour l’occasion quelques articles récents sur les œuvres de Pierre de Belay.


Bénodet. Les fresques de l’hôtel Ker Moor aux enchères (Ouest-France).

L’établissement emblématique de Bénodet met les tableaux de Pierre de Belay aux enchères. Jean-Charles Daniel, 70 ans, prépare sa succession.

Pierre de Belay (1890-1947)
Cinq magnifiques fresques de Pierre de Belay datant de 1923 ornent les murs de la salle à manger.

La dynastie Daniel a marqué la station de Bénodet (Finistère). Elle dirige le grand hôtel Ker Moor, situé sur la corniche de la plage, depuis les années 1930. Quatre générations s’y sont succédé. Et si les lieux ont évolué, l’esprit familial a toujours été conservé. À 70 ans, le patriarche, toujours le pied à l’étrier, a décidé de vendre les cinq fresques du peintre Pierre de Belay qui ornent les murs de la salle à manger.

« Ces peintures bretonnes sont la signature de l’hôtel, explique Vincent, 27 ans, qui a suivi une filière hôtelière et travaille au côté de son père depuis dix ans. Mais les tableaux appartiennent aussi à ma tante et à la fille d’une autre sœur de mon père qui est décédée. Mon frère est pilote de ligne. Si je reprends la suite, il aura des parts dans la société. Je serai responsable de son patrimoine c’est une grosse responsabilité. L’autre solution serait de vendre l’établissement, explique Vincent. Actuellement nous réfléchissons à la meilleure solution fiscale et familiale. »

Dans les années 1910, Ker Moor est un manoir cossu appartenant à une famille d’Alsaciens qui a fui la Première Guerre mondiale. L’arrière-grand-père, Jean-Marie, achète la bâtisse et des terrains marécageux aux enchères. La vente des terrains en front de mer lui permet d’ouvrir un établissement « entre chambres d’hôtes et hôtel de plage », précise Vincent.

Tourisme d’affaire

Les grands-parents reprennent l’affaire dans les années 1950. Ils agrandissent les lieux et font construire une piscine. L’hôtel n’est ouvert que l’été. Ils ouvrent un second établissement juste à côté : le Kastel Moor. Les affaires sont florissantes. À leur décès, Jean-Charles hérite du Ker Moor, sa sœur du Kastel.

L’homme a alors une idée de génie. Pour survivre à la crise, il se lance dans le tourisme d’affaire et crée sept salles de séminaire. « Mon père a vraiment été un précurseur, il a ouvert ses salles dès le début. »

Jean-Charles et Vincent Daniel
Jean-Charles Daniel et son fils Vincent, troisième et quatrième générations à la tête de l’hôtel.

Le bel hôtel qui a subi de nombreux liftings a vu passer, au fil des ans, beaucoup de célébrités comme Alain Delon, Catherine Deneuve, Nicole Garcia… « Michel Serrault et Charles Aznavour sont restés trois mois, mais j’ai aussi reçu Claude Chabrol pour le tournage de deux films. Quant à Georges de Beauregard, le producteur de cinéma, il aimait tellement venir ici qu’il a fini par acheter une maison à Bénodet » s’amuse Jean-Charles.

Johnny Hallyday et Nathalie Baye

Son souvenir le plus mémorable ? Le jour où il a vu Johnny Hallyday entrer avec Nathalie Baye et la petite Laura. « Je leur ai proposé notre plus belle chambre. Mais nous recevions le lendemain 150 jeunes. J’ai préféré les prévenir. Lui est resté fermé. Nathalie a dit qu’ils étaient venus pour se reposer. Ils ont préféré partir. »
Aujourd’hui, l’hôtel caché dans un vaste parc boisé de trois hectares avec piscine chauffée, et courts de tennis, dispose de 70 chambres et suite et de 15 appartements en location saisonnière. Un restaurant « qui n’est pas réservé qu’aux personnes qui dorment à l’hôtel » propose fruits de mer et produits du terroir. La bâtisse, imprégnée des différentes influences, a conservé son charme d’autrefois.

Publié le 24 juillet 2019 par Véronique MOSSER – Ouest-France ©


De Belay va-t-il quitter Bénodet ? (La Gazette Drouot).

Commandé à Pierre de Belay en 1923, le décor de la salle à manger de l’hôtel Ker-Moor sera vendu aux enchères le 1er décembre. La fin d’une époque, et le début d’une autre vie pour ces cinq tableaux qui lancèrent la carrière de l’artiste.

Pierre de Belay (1890-1947)
Pierre de Belay (1890-1947), Le Pardon de Sainte-Anne-la-Palud, 1923, huile sur toile, 185 x 412 cm (détail). Estimation : 45 000/50 000 €

À quelques pas de la plage, à Bénodet, l’hôtel Ker-Moor est l’un des derniers vestiges de ces hôtels au charme délicieusement suranné qui fleurirent en bord de mer dans les Années folles. Propriété de la famille Daniel depuis quatre générations, il sera prochainement vendu. «C’est difficile, car c’est toute ma vie. Mais j’ai 70 ans, il est temps de passer la main», confie Jean-Charles Daniel, descendant du fondateur de l’établissement construit à l’emplacement d’un ancien manoir détenu, dans les années 1910, par des Alsaciens qui avaient fui la Première Guerre mondiale. Dans un premier temps, l’actuel propriétaire se sépare du joyau des lieux : le grand décor du restaurant de l’hôtel, commandé en 1923 au peintre quimpérois Pierre Savigny de Belay, ami intime de Max Jacob. Les cinq huiles sur toile monumentales seront proposées séparément, en enchères provisoires avec faculté de réunion (estimation globale 170 000/200 000 €). Lorsqu’il peint ce décor, Pierre de Belay a 33 ans, et se relève de quatre ans de guerre (il est démobilisé en 1919) et de la perte de sa femme, puis de deux de ses enfants, victimes de la tuberculose. S’il a déjà beaucoup produit auparavant, entre la Bretagne et Paris, où il a fait son apprentissage à Montmartre, au Bateau-Lavoir, cette commande marque le début de sa carrière, lui ouvrant les portes du succès. «À cette époque, les hôtels de la région sollicitaient volontiers les artistes, qui se battaient pour obtenir des commandes. Cet engouement est né, en large partie, du succès de l’ensemble décoratif conçu entre 1905 et 1909 par Jean-Julien Lemordant pour la salle à manger de l’hôtel de l’Épée, à Quimper. Des peintres vont travailler pour des restaurants et des hôtels à Douarnenez, à Concarneau, à Beg-Meil… Mais tous ces décors ont été démontés, dispersés. Celui de Bénodet, complet, est le seul à être resté en place», explique l’historien de l’art André Cariou, ancien directeur du musée des beaux-arts de Quimper et spécialiste de Pierre de Belay.

l’hôtel Ker-Moor de Bénodet
La salle à manger de l’hôtel Ker-Moor, Bénodet, carte postale des années 1960.

Pardons et fêtes populaires

En 1923, la famille Daniel engage d’importants travaux, et décide de couvrir la longue terrasse de l’hôtel pour créer une nouvelle salle à manger (celle que l’on connaît aujourd’hui). Copain de régiment d’un des frères de Pierre de Belay, Jean-Marie Daniel donne alors carte blanche à ce dernier pour concevoir le décor de son choix. Le peintre imagine cinq scènes, tout en mouvement, autour des célébrations et des fêtes qui rythment le calendrier de la vie religieuse, sociale et populaire de la région. De Belay recompose à sa manière un imaginaire breton. Avec une pointe d’humour et de poésie (la présence récurrente des enfants qui jouent, à l’écart des adultes). Cadrages tronqués, figures stylisées, nuages géométrisés, ombres bleues et couleurs en aplats : à l’exception des feuillages des arbres, figurés par petites touches fragmentées, l’artiste affirme ici le style moderne et audacieux qui caractérisera par la suite ses tableaux de chevalet, ses scènes animées de pardons, de ports ou de marchés. La plus grande des compositions, qui est aussi la plus traditionnelle par son sujet, représente une procession, vraisemblablement celle du Pardon de Sainte-Anne-la-Palud (185 x 412 cm, détail page de gauche). On peut y voir, en haut à gauche, un autoportrait de l’artiste sous une casquette verte, les mains sur les hanches, aux côtés de son épouse vêtue de rouge. «Pour l’anecdote, mon grand-père, qui avait sans doute à ce moment-là des problèmes de trésorerie, n’a pas voulu payer le tableau, prétextant qu’il n’y avait pas de curé… Du coup, de Belay lui a proposé d’en ajouter deux !», raconte Jean-Charles Daniel. Les quatre autres toiles décrivent des scènes nettement plus profanes, entre buvettes et danses en plein air. Ainsi de La Dégustation du cidre en pays bigouden (201 x 201 cm, 32 000/35 000 €), des Sonneurs du pays Glazik, assis sur des tonneaux devant ce qui pourrait être l’église du quartier de Locmaria, à Quimper (199 x 154 cm, 23 000/28 000 €), d’une Fête du 14 juillet en Cornouaille dont les personnages virevoltants défient les lois de la pesanteur (199 x 258 cm, 38 000/42 000 €), et, enfin, d’une conviviale Fête du cidre à Fouesnant (200 x 178 cm, 32 000/35 000 €). Signés, datés et enchâssés dans leurs boiseries d’origine, les tableaux sont dans un remarquable état de conservation, à l’exception de quelques rares craquelures et soulèvements de la couche picturale. Franches, vives, contrastées, les couleurs n’ont rien perdu de leur fraîcheur. «Ce qui est miraculeux, compte tenu du fait que le décor est en place dans la salle à manger depuis près d’un siècle et que le restaurant n’a jamais cessé d’être en activité», remarque le commissaire-priseur Yves Cosquéric.

Un décor conçu comme un tout

Comme la plupart des décors composés de plusieurs éléments, celui de Pierre de Belay a été pensé dans sa continuité, en intégrant l’architecture de la pièce pour laquelle il a été créé. Les œuvres se complètent, se répondent, s’enrichissent les unes les autres. «Si certains tableaux peuvent éventuellement fonctionner seuls, comme la procession, d’autres ne prennent leur dimension qu’associés à leurs voisins. C’est un décor conçu comme un tout. Les séparer, ce serait assassiner l’artiste», affirme sans ambages Guillaume Ambroise, directeur et conservateur en chef du musée des beaux-arts de Quimper, qui abrite dans ses fonds pas moins de trois cents dessins, gravures et peintures de Pierre de Belay, offerts par sa veuve. Mais au-delà des moyens financiers le prix global estimé n’est pas exorbitant au regard de la cote du peintre et de l’extrême qualité des œuvres proposées , il faut avoir la place nécessaire pour les conserver, voire les présenter. Reste donc à savoir qui pourra emporter les cinq toiles, sauvant ainsi l’intégrité du décor d’un possible démantèlement. La mairie de Bénodet, qui enrichirait ainsi de façon significative les collections de son joli musée du bord de mer ? Une collectivité ? Une grande institution nationale ? Un collectionneur privé ? Un ancien client nostalgique de l’hôtel ? Verdict le 1er décembre au cœur même de cette salle à manger mythique qui a vu dîner, au pied des toiles, des personnalités aussi célèbres que Colette, Charles Aznavour, Michel Serrault, Claude Chabrol, Catherine Deneuve, ou encore Jacques Weber…

Publié le 31 octobre 2019 par Valentin GRIVET – La Gazette Drouot ©