Maison de haute Faïence (Bretons en cuisine).

Plus que tricentenaire la faïencerie Henriot, à Quimper, est unique en son genre en France. Ses chevilles ouvrières perpétuent un savoir-faire artisanal contre vents et marées.

François Le Goff
François Le Goff, actuel directeur de la faïencerie quimpéroise Henriot, a épaulé son père, l’entrepreneur Jean-Pierre Le Goff, lors du rachat de la faïencerie, alors en liquidation judiciaire, en 2011.

« Il faudrait environ trois ans plein temps pour tout trier, nettoyer et répertorier… » François Le Goff, directeur de la faïencerie quimpéroise Henriot, fait office de guide dans la « salle des archives » de l’entreprise. L’immense grenier occupe l’intégralité du dernier étage de la manufacture, à quelques pas des rives de l’Odet. Dans ce décor digne d’un film de Tim Burton s’entassent plusieurs centaines de milliers d’objets issus des ateliers Henriot ou de ceux de concurrents absorbés par la société au fil des décennies. Déambuler dans ce lieu hors du temps — et fermé au public — revient à parcourir trois siècles d’histoire bretonne : Henriot, qui fêtera ses 333 ans en 2023, figure parmi les plus vieilles entreprises de France.

Robert Micheau-Vernez
L’artiste-peintre Robert Micheau-Vernez a créé de nombreuses statuettes pour la faïencerie Henriot, parmi lesquelles cette « danseuse bigoudène ».

À l’étage inférieur se trouvent des ateliers parfaitement opérationnels, d’où sortent chaque année plusieurs milliers d’assiettes, plateaux, saladiers, tasses, ainsi, entre autres, que les célèbres « bols-prénom ». Toutes ces pièces arborent, au revers, la célèbre signature « Henriot Quimper France ». Douze personnes officient ici selon des procédés qui n’ont guère évolué depuis le début du XXe siècle. L’argile, matériau de base, ne provient plus des berges de l’Odet, mais de plusieurs fabricants spécialisés disséminés aux quatre coins de la France. Les « biscuits », ainsi que l’on nomme les pièces fraîchement façonnées, ne sont plus chauffés dans des fours à bois, mais dans d’imposants équivalents électriques. Pour le reste, les gestes et outils renvoient aux temps anciens. Le calibrage, qui consiste à donner aux morceaux d’argile la forme désirée, est effectué à l’aide d’antiques machines constamment réparées.

Après la première cuisson et le trempage dans un bain d’émail, les six peintres « maison » se chargent de la décoration des pièces.

Annelise Le Bras
Annelise Le Bras, peintre sur faïence, en plein travail.

Un silence monacal règne dans leur antre. Chaque artiste passe environ sept heures par jour ici, yeux rivés sur les pièces à orner. Les gestes sont précis et assurés. Deux ou trois coups de pinceau suffisent à faire naître une fleur sur la faïence. « On connaît les décors parce qu’on les peint depuis longtemps, explique Annelise Le Bras, 26 ans de métier. On peint presque par réflexe. » Trois ans sont nécessaires a« apprentis pour maîtriser la peinture sur faïence ainsi que le style Quimper ». Ce dernier, caractérisé notamment par le travail à main levée, les couleurs vives, ainsi que les motifs traditionnels bretons (parfois modernisés ci déclinés), était commun aux différentes faïenceries installées dans la capitale du Finistère à partir de la fin du XVIIIe siècle. Ces sociétés se sont longtemps concurrencées et rachetées entre elles. Trois siècles plus tard, alors que triomphe la vaisselle bon marché fabriquée aux antipodes, seule Henriot demeure.

Le calibrage
1 – Le calibrage consiste à façonner le morceau d’argile à l’aide d’un moule et d’un calibre.

La célèbre faïencerie quimpéroise est l’une des dernières, en France, à fonctionner de façon totalement artisanale. Une gageure, selon François Le Goff, qui ne cache pas les difficultés pour recruter du personnel, assurer les approvisionnements et demeurer attractif dans un monde dominé par les produits industriels. Pas question, pour autant, de remettre en cause les valeurs de la maison : « Faire ce qu’on fait, comme on le fait, aujourd’hui, c’est presque contre-nature… Mais on veut conserver ce savoir-faire et l’âme de la marque. »

Photos Bretons en cuisine
2 – Un moule destiné à la fabrication d’un «bol-prénom». 3 – Les couleurs utilisées par les peintres de la faïencerie sont créées sur place, en mélangeant différents pigments. 4 – Un bol Henriot « standard » est vendu environ 40 euros, soit cinq à dix fois plus qu’un équivalent fabriqué à l’étranger de façon industrielle.
Couverture de Bretons en cuisine n°42

Le saviez-vous ?
Certaines pièces anciennes signées « Henriot Quimper », particulièrement recherchées, se vendent plusieurs milliers d’euros. Leur valeur dépend notamment de l’époque de fabrication et de la cote de l’artiste ayant réalisé les motifs.

Publié le 1er juin 2022 – Textes et photos Nicolas Legendre – Bretons en cuisine n°42 ©

Décès de Jacques Villeglé (1926-2022) – (France 3 Bretagne).

L’artiste Jacques Villeglé (1926-2022) est décédé le lundi 6 juin 2022.
Il était certainement l’artiste contemporain quimpérois le plus célébré sur la scène internationale.
Sa démarche artistique passait par la lacération d’affiches dans l’espace public, qui constituait son atelier.
Il adhère en 1960 au mouvement des nouveaux réalistes théorisés par Pierre Restany.
A la fin des années 60, il débute un alphabet socio-politique.
En 2016, la faïence Henriot réinterprète son alphabet sur le support de la céramique.
Une exposition lui a été consacrée au sein de la galerie de la manufacture cette même année.

Publié le 8 juin 2022 – France 3 Bretagne ©

Jacques Villeglé, figure de l’art contemporain né à Quimper, est décédé (Ouest-France).

Jacques Villeglé
Jacques Villeglé avait créé un alphabet sociopolitique, décliné ici lors d’un travail avec la faïencerie Henriot Quimper (Finistère)

Toujours bien habillé, l’œil rieur, un chapeau sur la tête, Jacques Villeglé, né Jacques Mahé de la Villeglé, était un grand bonhomme de l’art contemporain. Il s’est éteint à l’âge de 96 ans. Son nom est associé à des affiches lacérées par des passants, abîmés par le temps, qu’il a sorties de leur contexte de la rue pour les mettre dans des galeries. Affiches de cinéma, politiques, publicitaires, il récoltait tout. Pour lui, le véritable artiste ce n’était pas lui mais « le lacérateur anonyme ».

Un travail d’archéologue urbain mené avec son copain Raymond Hains, rencontré sur les bancs de l’école des Beaux-Arts de Rennes. Villeglé était né à Quimper et n’avait pas oublié sa ville natale. L’an passé, il avait prêté 70 œuvres à l’association d’art contemporain Cactus. Le musées des Beaux-Arts de Quimper possède deux de ses œuvres. « Il était un passeur intergénérationnel, souligne Sheilla Laclusse, artiste installée à Cast (Finistère) et qui l’a bien connu. Il avait beaucoup d’humour mais était aussi très engagé. » Passionné par la poésie et la typographie il avait créé son propre alphabet.

Publié le 07 juin 2022 par Jean-Marc PINSON – Ouest-France ©


Fermeture de La Civette, la fin d’une institution quimpéroise (Le Télégramme).

Gwenola Breton
Gwenola Breton à l’entrée de La Civette au décor très connu.

Le magasin de souvenirs et cadeaux La Civette va bientôt fermer ses portes rue du Parc. Gwenola Breton, commerçante de la troisième génération, a annoncé son départ. Un magasin d’audition va s’installer dans ce lieu emblématique.

« J’ai 56 ans. Depuis mes 15 ans, je suis liée à ce magasin. J’avais envie de changer de vie ». Gwenola Breton ne s’attarde pas sur les raisons qui la poussent à passer la main. Tout juste évoque-t-elle avec émotion la disparition l’an passé de son père, en février et de sa mère, en août. Une histoire de famille se termine avec le départ de la patronne de La Civette.

La Civette
Une vue du magasin, sans doute dans les années 1980.

Depuis 1938

L’établissement a été qualifié d’institution à Quimper. Pour Gwenola Breton, il s’agissait surtout d’une filiation. La Civette a été créée en 1938 par Alphonse Breton, un pâtissier de Landivisiau arrivé à Quimper pour ouvrir un magasin d’articles de tabac, qui deviendra bureau de tabac après-guerre. Alphonse était aussi amateur de faïence Henriot et le magasin va se diversifier. En 1970, la vente du tabac s’arrêtera. La Civette se diversifiera dans la maroquinerie, les stylos et autres cadeaux… En 1975, le fils Jean-Claude, également féru de faïence, a repris l’affaire, puis Gwenola en 1998. Une affaire de famille donc, identifiée par de grands carreaux de faïence en façade.

Jean-Claude Breton
En 1978, Jean-Claude Breton, au premier plan, a été fait maître pipier de Saint-Claude, en même temps que Pierre-Jakez Hélias que l’on devine en arrière plan.

Rares sont, aujourd’hui, les commerces de Quimper qui en sont à la troisième génération familiale. Le magasin « L’art de Cornouaille » place Saint-Corentin, a également été créé par Alphonse Breton. Il est aujourd’hui tenu par Mickaël Breton, le cousin de Gwenola. « Mon grand-père avait aussi créé un magasin de vêtements Eoligou, rue du Parc », dit-elle.

Jean-Claude Breton
Jean-Claude Breton, le père de Gwenola.

L’ambiance a changé

La commerçante a l’impression d’avoir toujours travaillé à La Civette. « Petite, je dormais dans la réserve à bols, dit-elle. Adolescente, je travaillais à la boutique pour l’argent de poche. Une page se tourne pour moi avec émotion ». L’ambiance a aussi changé dans le quartier avec l’apparition de commerces éphémères, de franchises. « Les gens s’installent, ils ne viennent pas se présenter et au final, personne ne se dit bonjour », regrette Gwenola qui rappelle que la fermeture de la brasserie Le Bretagne il y a une quinzaine d’années a privé le secteur d’un lieu de convivialité. Pour autant, elle évoque aussi une clientèle « très fidèle ».

La Civette va donc fermer ses portes ce printemps. Elle sera remplacée dans quelques mois par un magasin d’audition. Que deviendra la façade ornée de faïence ? Gwenola n’en sait rien. « Je pense que les carreaux ne pourront pas bouger », dit-elle. Quant à la commerçante elle ne va pas quitter Quimper mais prendra un peu le large sur son bateau.

Le centre-ville perd ses balises

Les anciens ne reconnaissent plus leur ville, les plus jeunes y viendront-ils longtemps ? L’identité du centre-ville de Quimper se dilue peu à peu pour prendre les couleurs de toutes les villes de France. La fermeture annoncée de la Civette, vitrine emblématique d’une époque, en est l’illustration. Bientôt sur cet emplacement stratégique, à l’angle de la rue du Parc et de la rue Saint-François en bord de rivière face à la place de la Résistance, on trouvera un nouveau magasin d’audition. Il s’agirait du quinzième du genre rien que sur la ville de Quimper !

Peu à peu le centre-ville perd ainsi de son attractivité. Les visiteurs repéraient la Civette et ses faïences en façade comme une balise marquant l’entrée dans le centre historique. Les Quimpérois y étaient tous rentrés pour acheter un souvenir ou un cadeau. Qui s’arrêtera devant un énième magasin d’audition ? Banques, agences immobilières et autres : le quai le plus passant de Quimper, perd peu à peu son sens. On se souvient de la fermeture de la brasserie Le Bretagne en 2005. Elle était juste en face de la Civette. Son départ avait déjà cassé la convivialité des lieux. Une page se tourne à Quimper où les franchisés et autres boutiques éphémères, sans attaches, remplacent peu à peu ceux qui ont fait l’histoire de la ville.

Publié le 27 avril 2022 par Ronan Larvor – Le Télégramme ©