Une production atypique : Quimper et les « Provinces » françaises
Durant l’entre-deux-guerres, et encore plus nettement dans les années 1930, les manufactures de céramique quimpéroises, fortes de leur savoir-faire, souhaitent profiter de potentielles ventes dans les autres régions françaises.
Au-delà du « petit Breton », dont le succès et la popularité ne sont plus à démontrer, elles tentent alors d’exporter la céramique de Quimper… dans les diverses « provinces » françaises.
Des collaborateurs « maison » créent certains modèles, des artistes extérieurs à la Bretagne proposent également leurs services ou sont sollicités.
Peu ou prou, l’ensemble des régions françaises disposant de particularismes significatifs est couvert.
De la Normandie, voisine, à l’Alsace, en passant par les Pyrénées ou la Camargue, chaque lieu reçoit son lot de faïences, faites à Quimper, mais représentant la typicité de chaque région.
D’une façon générale, afin de ne pas porter la moindre référence faisant écho à la Bretagne, ces faïences utilisent des marques ou des contre-marques, évoquant un lieu de vente, voire le nom d’un revendeur.
L’amateur sera ainsi troublé de voir des céramiques portant des signatures telles que VB (pour Verlingue-Bolloré, c’est-à-dire la manufacture HB) ou encore JH (pour Jules Henriot), voire même le monogramme PB, sans mention d’une origine bretonne.
Chez HB, le créateur « maison » le plus prolifique dans ce domaine est sans doute Paul Fouillen. Son style facilement reconnaissable se retrouve utilisé pour reproduire, notamment, des Normands, des Auvergnats ou encore des Bressans. Chez Henriot, pour l’emploi des familiers de la manufacture, on pensera à l’ingénieur maison, par ailleurs artiste créateur à ses heures perdues, Victor Lucas, qui, normand d’origine, crée quelques faïences rappelant cette province.
Les deux manufactures quimpéroises de l’entre-deux-guerres font appel, ou sont sollicitées, par des artistes régionaux. Ceux-ci cherchent à diffuser, régionalement, des produits « dérivés » portant la touche de leur style propre.
A la manufacture HB, Jeanne Audiberti, Diane Delin, Louis Guien ou encore Marthe Labarrère représentent des Provençaux.
Mais c’est avant tout la manufacture Henriot qui va développer ces éditions destinées aux diverses provinces.
Des dessins du célèbre Jean-Jacques Waltz, alias Hansi, auraient été utilisés pour des représentations destinées à la commercialisation en Alsace. André Houillon fait éditer chez Henriot tout un ensemble de personnages vosgiens. Laffitte se frotte à l’Algérie, mais aussi aux protectorats que sont alors le Maroc et la Tunisie, pour créer une production (rare) de sujets en volume. Etienne Laget, artiste installé à Arles, fait éditer par la manufacture un assez grand nombre d’assiettes, plats, vases ou pichets. Ces céramiques ne portent, en règle générale, pas de mentions les rattachant à Quimper, mais la marque Faïence Folklorique JH. Les thématiques principales de Laget sont évidemment rattachées à sa région, mais parfois, rarement, l’artiste s’est essayé à des représentations auvergnates ou alsaciennes. Jacques Le Tanneur, artiste basque, est contacté par la manufacture Henriot dans les années 1930. Il fait réaliser à Quimper des pièces de forme ainsi que des décors basques et pyrénéens sur des assiettes, plats, pichets etc. Louis de Lombardon, artiste de la région marseillaise, donne également quelques (rares) modèles à la reproduction chez Henriot. Ces céramiques évoquent, comme celles de Laget, la région de Marseille et d’Arles. Jean-Roger Sourgen quant à lui ne crée que des décors, épurés, évoquant des paysages la région landaise.
André Galland est l’un des décorateurs de la manufacture Henriot les plus prolifiques. En effet, s’il crée nombre de sujets bretons, il est largement associé à ce que le manufacture appelle les « éditions d’art régional ». Ainsi, les créations de Galland concernent l’Auvergne, la Normandie, la Provence, le Pays basque et les Pyrénées et… au-delà. C’est toute la « plus grande France », pour reprendre la terminologie de l’époque, qui est concernée. Outre les territoires métropolitains, en effet, l’Algérie reçoit ses créations régionales. Ainsi, chez Henriot, André Galland, toujours lui, ne crée pas moins de 59 modèles différents pour ce « département français » ! Qu’il s’agisse de décor de pièces de la manufacture (assiettes, plats…) ou de créations en volume (personnages), quelques noms de l’époque subsistent et nous laissent songeurs, tels Sultane voilée, Potiche caravane ou encore Bouteille Moukère !
Philippe Théallet – © Les Amis du Musée et de la Faïence de Quimper.