Les Bigoudens contrastés de Quillivic (Le Télégramme)

Des expos, des regards (15).

exposition 2016

Garçon de Pont-l’Abbé en grès et jeune Bigoudène en faïence, de part et d’autre d’un buste blanc, trois créations de René Quillivic.

Les collections du Musée de la faïence comprennent notamment deux statuettes de jeunes Bigoudens en grès et faïence de Quillivic. Deux pièces à observer à l’exposition « Les femmes et les enfants d’abord ». De part et d’autre d’un buste blanc, plus récent.

D’un côté de la vitrine, la statuette en grès d’un jeune garçon de Pont-l’Abbé, une main dans une poche de costume de tous les jours, l’allure désinvolte. De l’autre, la statuette en faïence d’une jeune Bigoudène endimanchée, au costume riche, le doigt dans la bouche. Ces deux pièces contrastées de René Quillivic (1879-1969) datent des années 1920. Elles ont été réalisées chez HB. Quillivic y a été le chef de file de pas mal d’artistes. Le garçon en grès arbore « un marron, peu commun mais fidèle à la couleur des costumes en velours », signale Bernard Verlingue. « Il y a comme une espèce de patine qui valorise le sujet que Quillivic a représenté avec un mouvement de corps, une curieuse expression dans le visage et les pieds nus, symbole de pauvreté », complète le conservateur du Musée de la faïence. « Quillivic, originaire de Plozévet, était très au fait de la vie quotidienne en Bretagne, même s’il était parti faire des études à l’École nationale supérieure des Beaux-arts de Paris, entre 1906 et 1909 », indique le directeur du lieu. En contrepoint donc, la jeune fille présentée dans un costume de fête, avec ses rehauts d’or. « En version dorée, cette pièce est très rare, elle appartient au musée », précise Bernard Verlingue. Le garçon en grès aussi. Le spécialiste évalue à une bonne cinquantaine le nombre de modèles réalisés par René Quillivic chez HB.

Au visage mélancolique


Il faut dire que le sculpteur a passé beaucoup de temps dans l’atelier de Locmaria. « Il y a produit des pièces uniques pendant la Seconde Guerre mondiale. Il avait d’ailleurs acheté le Jardin médiéval pour s’y faire construire une maison. Mais sa femme, qui était originaire de Carpentras, n’a pas supporté le climat. Il a vendu le jardin. On y trouve encore un bloc de pierre de Loire, conséquent, destiné à accueillir sa statue des deux sonneurs », relate le conservateur. Entre les jeunes Bigoudens, un buste blanc de jeune fille, une spécialité du sculpteur, au visage mélancolique. « Il y avait un côté tragique chez Quillivic. Il a tout de même réalisé une vingtaine de monuments aux morts en Bretagne, avec cette particularité de montrer la douleur des gens qui restent et pas la gloire du soldat », resitue Bernard Verlingue. « Il demandait toujours aux maires qui passaient commande de lui indiquer la famille qui avait le plus souffert de la guerre. Elle lui servait de modèle », illustre-t-il. Le buste blanc a une petite histoire. « Lorsque j’avais préparé l’expo consacrée à Quillivic il y a quelques années, je m’étais rendu dans son ancien atelier, boulevard Montmorency, à Paris, resté à l’identique. Son fils, qui vient de décéder, y vivait également. Parmi tous les plâtres, j’ai retrouvé celui-ci. J’avais demandé au fils l’autorisation de le reproduire. Il avait accepté », sourit le conservateur.

Exposition visible du lundi au samedi, de 10 h à 18 h, au Musée de la faïence. Entrée : 4,50 €. Tél. 02.98.90.12.72.

Publié le 24 août 2016 – Bruno Salaün © Le Télégramme

« Il y a eu quelques détournements » (Le Télégramme)

Des expos, des regards (11).

exposition 2016

Le conservateur, Bernard Verlingue, montre une jeune Bigoudène et son dessin préparatoire réalisés par Émile Just-Bachelet.

Retour au Musée de la faïence pour le onzième volet de notre série consacrée aux expositions de l’été. À la découverte d’une surprenante sculpture de facture cubiste, d’un portrait de Bigoudène aux traits doux et d’un sculpteur.

C’est une faïence atypique, aux angles assez vifs, à l’allure cubiste, au coeur de l’exposition « Les femmes et les enfants d’abord ». Une Bigoudène à l’enfant. Elle est signée Émile Just-Bachelet (1892-1981). « Ce sculpteur nancéien est venu chez Henriot par l’intermédiaire de Mathurin Méheut, à l’occasion de l’exposition internationale des arts décoratifs de 1925 à Paris », indique Bernard Verlingue, le conservateur du Musée de la faïence. « Il avait réalisé un certain nombre de modèles pour l’exposition qui, pour l’essentiel, n’ont pas été présentés au Pavillon de Bretagne puisque le sculpteur était Lorrain ! On sait tout de même qu’il y a eu quelques détournements : deux, trois pièces y ont été montrées mais on s’était bien gardé de préciser qu’il était originaire de Nancy ! », s’amuse le directeur du musée, la moustache souriante. La Bigoudène à l’enfant lui a été prêtée par un collectionneur belge. « Il est allé la chercher en Hongrie, via internet. Comme quoi, la faïence de Quimper voyage ! », relate Bernard Verlingue. Bachelet représente la famille à travers les âges. Outre la Bigoudène à l’enfant, il met en scène des personnages plus âgés, des marmots dans les bras. « En faïence de Quimper, il y a un truc curieux et récurrent : les hommes sont souvent représentés sous les traits de grands-parents », commente au passage le conservateur. Entre la sculpture cubiste et les figurines en faïence, le visiteur tombe nez à nez avec le portrait d’une jeune femme.

« C’est un peu l’apologie de la Bigoudène et de sa coiffe. Pourquoi l’a-t-il réalisée ? Je ne sais pas ! », glisse le directeur du musée, qui se révèle être le propriétaire de cette faïence.

« Le dessin d’abord envoyé »

Le dessin original, aux regard et traits sensiblement différents, est dévoilé à quelques mètres de la faïence. « On tient beaucoup, quand cela est possible, à montrer les dessins préparatoires. Dans la plupart des cas, le dessin était d’abord envoyé aux faïenceries. S’il était accepté, on faisait un plâtre et sur ce plâtre, les empreintes qui devenaient des moules de fabrication », précise le spécialiste. Émile Just-Bachelet a réalisé une vingtaine de modèles pour Henriot, beaucoup de pièces à propos de la Bretagne, comme des marins aux filets… ou cette Bigoudène avec le doigt dans la bouche. Représentation commune ou pas ? « On la retrouve de temps en temps, chez Quillivic par exemple. C’est peut-être un symbole de la sortie de l’enfance, l’expression d’une fausse naïveté, ou un signe de perplexité », s’interroge Bernard Verlingue. Seule certitude, les premières faïences de Bachelet datent des années 1923-1924. D’aucunes lui ont valu une médaille d’or au Salon de 1925. « Et puis il fait partie des artistes de l’entre-deux-guerres que l’on n’a plus revu ensuite ici », conclut le conservateur.

Exposition visible du lundi au samedi, de 10 h à 18 h. Entrée : 4,50 €. Tél. 02.98.90.12.72.

Publié le 19 août 2016 – Bruno Salaün © Le Télégramme

Plouigneau, un costume sur faïence (Le Télégramme)

Des expos, des regards (6).

exposition 2016

Rare série de faïences mettant en scène le costume de Plouigneau. Elle est signée Marie-Renée Chevalier-Kervern.

Le sixième volet de notre série consacrée aux expositions de l’été nous conduit, de nouveau, dans une vitrine du Musée de la faïence. À la découverte d’une série insolite et incomplète qui met en valeur le costume de Plouigneau. Rareté !

« Dans cette série des années 1930 de Marie-Renée Chevalier-Kervern (1902-1987), ce qui est assez fantastique, c’est qu’elle est la seule artiste à avoir représenté sur faïence ce costume-là, celui de Plouigneau », décrit Bernard Verlingue, conservateur du musée. « Elle est originaire de ce coin-là. C’est un costume très riche, avec ce chapelet qui indique l’attachement à la religion. En réalité, il manque une pièce à cette série de cinq : elle représente des enfants, à la manière de petits poucets. Je ne l’ai pas retrouvée », indique le conservateur du musée. Cette série, sans titre, de statuettes en rond de bosse aux tons pastel, a été réalisée chez Henriot. Elle est singulière parmi les 200 modèles présentés dans l’exposition, même si elle s’inscrit dans la lignée des productions de son époque. « Le rond de bosse est apparu avec la technique du coulage, à Quimper, vers 1918. C’est mon grand-père qui l’a introduite ici. Elle s’est développée chez Henriot avec l’arrivée de Victor Lucas, un ingénieur céramiste. Cette technique consiste à mettre de l’argile liquide dans un moule en plâtre. Le plâtre pompe l’eau et raffermit la pâte, si bien que l’on va pouvoir faire une multitude de choses. On sort de la contrainte précédente, lorsque les pièces étaient faites par estampage, par moitié que l’on recollait », éclaire le conservateur.

« La sincérité du geste »

Marie-Renée Chevalier-Kervern avait suivi l’école des arts décoratifs. Et comme beaucoup d’artistes, à l’époque, elle avait repéré qu’Henriot proposait des choses nouvelles. « C’est elle qui est entrée en contact avec Henriot, comme la majorité des artistes qui ont collaboré avec la faïencerie. En l’occurrence, leur chef de fil était Mathurin Méheut (1882-1958). Il a fait venir, en autres artistes, Yvonne Jean-Haffen (1895-1993). Chez HB, c’est René Quillivic (1879-1969) qui a amené dans son sillage une multitude de créateurs », relate Bernard Verlingue. Les pièces de l’artiste exposées pour « Les femmes et les enfants d’abord » appartiennent à un collectionneur privé, installé à Laval. « Ce qui est commode, c’est que l’association des Amis du musée regroupe des collectionneurs de faïence. Quand on cherche quelque chose, on questionne d’abord ces gens-là, ils forment un précieux vivier », sourit le conservateur. Que lui inspirent les faïences de Marie-Renée Chevalier-Kervern ? « J’y vois une certaine sérénité dans les visages, la sincérité du geste, un beau mouvement des corps. J’y vois des représentations réalistes, pas du tout posées. Elles datent des années fastes de création de modèles tant chez HB que chez Henriot, à la suite de l’exposition internationale des arts décoratifs de 1925, à Paris, qui a servi un peu de déclencheur ».

Expo visible du lundi au samedi, de 10 h à 18 h. Entrée : 4,50 €. Tél. 02.98.90.12.72.

Publié le 13 août 2016 – Bruno Salaün © Le Télégramme

« Vous allez être excommunié ! » (Le Télégramme)

Des expos, des regards (1).

exposition 2016

« I tron varia breiz izel » (« Notre-Dame de Bretagne ») de Robert Micheau-Vernez.

L’enfant Jésus jouant du biniou ! oeuvre insolite de l’artiste Robert Micheau-Vernez, dont l’évêché provoqua, dans les années 1950, l’interruption de la production. Elle est exposée au Musée de la faïence. C’est le premier volet d’une série consacrée aux expositions de l’été.

« Lorsque cette pièce en faïence a été éditée, l’évêché a contacté Jules Henriot, le patron de la faïencerie à l’époque, en lui disant : « Mais Monsieur Henriot, vous allez être excommunié ! ». Jules Henriot, qui était très croyant, a tout de suite arrêté la production », relate, l’oeil malicieux, Bernard Verlingue. Le conservateur du Musée de la faïence désigne là « I tron varia breiz izel », une vierge à l’enfant Jésus qui joue du biniou. Elle a été réalisée par Robert Micheau-Vernez (1907-1989) dans les années cinquante. La faïence est montrée dans le cadre de l’exposition temporaire du musée de Locmaria, « Les femmes et les enfants d’abord… ». « L’interruption de la production sur intervention de l’évêque en a fait une pièce extrêmement rare. À ma connaissance, elle existe à cinq ou six exemplaires difficiles à trouver chez les particuliers. Celle-ci appartient à la famille de Micheau-Vernez. Je tenais absolument à la présenter dans le cadre de cette exposition. Au-delà de ses qualités artistiques, symboliques, elle se révèle un joli clin d’oeil à la thématique de la femme et de l’enfant. Elle intrigue beaucoup les visiteurs », se réjouit le responsable du musée.

« Il en a été très déçu »


Mais, quelle fut donc la réaction de Robert Micheau-Vernez à l’époque ? « Il en a été très déçu, mais comme il était fidèle, il ne l’a pas fait fabriquer ailleurs.

Il l’a mise dans sa poche avec son mouchoir par-dessus ! C’était pourtant, pour lui, une pièce emblématique de la Bretagne. Souvenons-nous que l’artiste a appartenu au mouvement Seiz Breur. Pour lui, qui était également sonneur, l’enfant Jésus pouvait jouer du biniou. Pourquoi pas après tout ? Il avait conçu cette pièce en toute bonne foi, sans aucune provocation. Moi, je trouve cela fantastique ! », s’exclame Bernard Verlingue. Cette vierge à l’enfant, si singulière, arbore des couleurs vives et notamment un fabuleux bleu aluminate de cobalt. « Elle est tout à fait dans l’esprit de Micheau-Vernez, qui est l’artiste qui a introduit le mouvement dans la faïence de Quimper, avec ses robes, ses plis, ses décorations, la reprise de fresque de danseurs », éclaire le spécialiste. La faïencerie Henriot a-t-elle, malgré la menace d’excommunication de son ancien patron, conservé un modèle de l’oeuvre ? « Oui, nous l’avons retrouvé il n’y a pas si longtemps. Ce pourrait être amusant de relancer sa production », lance Bernard Verlingue. Il tempère aussitôt. « Enfin, en réalité, ce serait délicat, car il y a beaucoup de détails, de choses collées, les rubans de la coiffe qui rappelle d’ailleurs Sainte-Anne-d’Auray, tous les morceaux du biniou sont rajoutés après… C’est un boulot assez considérable », décrit le conservateur du musée. Il entrevoit une reprise de production coûteuse. « Au niveau du prix de la pièce en modèle ancien. La dernière qui s’est vendue l’a été à plus de 6.000 € », évalue-t-il.

Expo visible du lundi au samedi, de 10 h à 18 h. Entrée : 4,50 €. Tél. 02.98.90.12.72.

Publié le 08 août 2016 – Bruno Salaün © Le Télégramme