La « fille de Loudéac » est considérée comme une pionnière de l’art moderne breton. Dès le début du XXe siècle, elle s’est évertuée à en faire un vecteur d’emploi et d’émancipation.
Aujourd’hui, on aurait dit d’elle qu’elle était « féministe ». Mais Jeanne Malivel n’a pas attendu ces débats sémantiques pour s’engager dans des causes qui lui paraissaient nobles et justes, dès le début du XXe siècle. Et c’est en cela qu’elle était une femme et une artiste d’une grande modernité, autant dans les idées que dans le travail.
La « fille de Loudéac », née en 1895, est pourtant vite tombée dans l’oubli après sa mort, à l’âge de 31 ans.
« Elle a pris le taureau par les cornes »
« À une époque où on apprenait surtout aux jeunes filles à être de bonnes épouses et mères de famille, Jeanne Malivel a été soutenue financièrement par ses parents dans ses études d’art, explique Bernard Verlingue, le conservateur du musée de la Faïence de Quimper (Finistère) qui lui consacre actuellement une exposition estivale. Ils avaient très vite pris conscience de son don précoce pour le dessin. »
Elle décroche, en 1919, un diplôme de l’École nationale supérieure des Beaux-arts de Paris. La jeune artiste spécialisée dans la gravure sur bois retourne sur ses terres natales. Elle se met à œuvrer en faveur de la rénovation d’une production bretonne qu’elle juge académique et stéréotypée. « Elle a pris le taureau par les cornes et s’est investie dans un nombre invraisemblable de projets, de commandes et de collaborations. »
Textile, broderie, gravure sur bois, céramique, dessin, mobilier, peinture, faïence, vitrail… en plus d’être touche-à-tout, Jeanne Malivel produisait « tous azimuts ».
L’art au service de l’emploi
Cette boulimique du travail voyait la modernisation de l’art à travers la réalisation d’œuvres, non seulement minutieuses et épurées, mais surtout « concrètes » qui débouchaient sur des emplois pour les femmes. « Elle leur fournissait le matériel et les formait gratuitement dans son atelier ».
Celle qui détestait Paris voulait mettre un terme à l’exode « massif » des jeunes filles de l’époque vers la capitale pour servir de bonnes à tout faire pour le compte de riches bourgeois. « Elle a pris un engagement vis-à-vis de la population locale, mais sans aspect politique », précise Bernard Verlingue.
Plusieurs artistes vont se rallier à sa cause en 1923 en intégrant les Seiz Breur. Le mouvement précurseur de l’art moderne breton, que l’on doit une nouvelle fois à « la fille de Loudéac », cimente une vraie orientation et conforte l’idée qu’un chantier de rénovation est nécessaire en Bretagne.
Une fin tragique
Le mariage « qui en a surpris plus d’un » de Jeanne Malivel avec un inspecteur des impôts, en 1925, « à peine trois mois après leur rencontre », est le début d’une parenthèse dans sa vie d’artiste et dans son investissement dans les Seiz Breur. « Elle a préféré partir en voyage de noces plutôt que d’assister à l’inauguration du pavillon breton. » Une parenthèse qui s’est brutalement refermée.
Si sa foi n’a jamais influencé son travail, elle a en revanche « causé sa perte ». Atteinte de la tuberculose, la jeune femme ne peut pas garder l’enfant qu’elle porte. Par convictions religieuses, elle refuse l’avortement et ils décèdent tous les deux, le 2 septembre 1926.
Jeanne Malivel laisse comme héritage davantage de projets que de productions. Fait préjudiciable puisque ce sont bien ces dernières qui permettent le passage à la postérité dans le monde de l’art. Mais « l’orientation qu’elle a impulsée est restée intacte. » Et sa modernité, elle, restera intemporelle.
Exposition jusqu’au 29 septembre, au musée de la Faïence, 14, rue Jean-Baptiste-Bousquet. Du lundi au samedi, de 10 h à 18 h, sans interruption.
Publié le 24/08/2018 par Sounkoura-Jeanne DEMBÉLÉ – Ouest-France ©