Une œuvre inédite de Mathurin Méheut (Ouest-France).

Anne Le Roux-Le Pimpec & Christian Bellec
Anne Le Roux-Le Pimpec, directrice du musée, et Christian Bellec, président de l’association des Amis du musée du Faouët, devant le tableau.

Le musée du Faouët (Morbihan) expose Le fauchage des blés, peinture grand format du Breton Mathurin Méheut, qui avait échappé aux spécialistes.

Deux personnages, le dos courbé, mettent les blés en javelle sous un ciel bas. Au premier plan, une femme portant le costume du cap Sizun se tient droite, des faucilles dans les bras, une cruche et un bol pour le cidre à ses pieds.

Intitulée Le fauchage des blés, cette caséine grand format (158 x 253 cm), peinte en 1934-1935, constitue la pièce maîtresse de la nouvelle exposition du musée du Faouët, consacrée à la figure du paysan breton dans la peinture. L’auteur ? Rien de moins que Mathurin Méheut (1882-1958). Sa particularité ? Elle est inédite.

Des semaines d’enquête

« C’est exceptionnel », s’enthousiasme Anne Le Roux-Le Pimpec, directrice du musée. Car si des œuvres du prolifique Breton sont régulièrement mises au jour, il s’agit plutôt de croquis, de petits dessins.

Alors, quand son propriétaire, un particulier, propose ce qui s’apparente à un décor après un appel lancé dans les médias en vue de l’exposition, son comité scientifique se met en branle.
Autrice et spécialiste de Mathurin Méheut, l’historienne d’art Denise Delouche veut des preuves. L’universitaire, la directrice et le président de l’association des Amis du musée du Faouët, se lancent dans une enquête.

Elle commence à Dinard, où la famille Le Bras, du nom de l’amie du propriétaire qui lui a cédé l’œuvre, possédait une pâtisserie-salon de thé, face au casino. Elle aurait orné ses murs, croit savoir ce dernier. Le trio fouille les archives municipales, passe en revue les cartes postales d’époque. C’est l’impasse.

En épluchant la correspondance de l’artiste avec son élève et « amie » Yvonne Jean-Haffen – plus de 1 400 lettres – ils découvrent des allusions à une possible commande. Sur un plan pictural, ils établissent « beaucoup de parallèles » avec d’autres œuvres du Breton. Comme la cruche et le bol, des « motifs récurrents » relève Anne Le Roux-Le Pimpec.

Finalement, par la famille Le Bras, ils apprennent que Le fauchage des blés a d’abord décoré sa succursale parisienne, gare Saint-Lazare. Au début des années 1940. Puis la peinture est rapatriée à Dinard, dans un appartement qu’elle ne quittera plus jusqu’à sa vente en 2016.

Musée du Faouët, jusqu’au 31 octobre.

Publié le 7 juillet 2021 par Maxime LAVENANT – Ouest-France ©

Comment le musée du Faouët a pu authentifier une œuvre inédite de Mathurin Méheut (Le Télégramme).

Christian Bellec & Anne Le Roux-Le Pimpe
Christian Bellec, président de l’association des Amis du musée, et la directrice du musée, Anne Le Roux-Le Pimpec, devant Le Fauchage des blés (1934), un panneau inédit du peintre breton Mathurin Méheut, découvert récemment et actuellement exposé au musée du Faouët.

C’est en sollicitant les collectionneurs privés pour une exposition que le musée du Faouët (56) s’est retrouvé à mener une véritable enquête pour authentifier et retracer l’histoire de ce spectaculaire panneau réalisé par l’artiste breton Mathurin Méheut, en 1934… pour une pâtisserie parisienne.

Les chefs-d’œuvre oubliés se font rares. Et pourtant, au musée du Faouët, on se frotte les mains car si trouver l’œuvre n’était pas le plus compliqué, prouver son authenticité en retraçant son histoire a obligé les responsables du musée à remonter sérieusement leurs manches.

Courant 2020, afin d’organiser une exposition sur le paysan breton dans la peinture, la directrice du musée Anne Le Roux – Le Pimpec et l’association des Amis du musée décident, selon l’usage, de solliciter des collectionneurs privés afin d’obtenir des prêts de tableaux en lançant un appel. Parmi les nombreux retours qui ont permis à l’exposition de se tenir actuellement, un particulier les contacte et leur propose un panneau de grande taille du célèbre peintre originaire de Lamballe (22), Mathurin Méheut (1882-1958). Le problème est que personne ne connaît cette œuvre intitulée le Fauchage des blés (et datée 1935 au dos), pas même alors l’historienne de l’art Denise Delouche qui fait autorité sur la question. En outre, le propriétaire – qui l’a acquis en 2016 – sait peu de choses sur l’historique de son bien. Impossible dans ces conditions d’exposer cet immense panneau (158 x 253 cm) sans la suspecte mention « attribué à… ». Une option que les responsables du musée n’envisagent qu’en se pinçant le nez…

« On ignorait complètement son existence »

Pas question pour autant de rester frileux sans en savoir plus. Un comité scientifique, composé de Denise Delouche, Anne Le Roux-Le Pimpec, Christian Bellec, président des Amis du musée, et de Jean-Marc Michaud, ancien conservateur du musée, se met en quête de plus d’éléments. « On ignorait complètement son existence et il n’avait jamais été montré au public nulle part, ni au cours d’une exposition ni en vente aux enchères, explique Anne Le Roux-Le Pimpec, c’est la réputation du musée qui risquait d’être mise en cause ». Partant de zéro, il apparaît toutefois que les dimensions de l’œuvre sont peu adaptées à un intérieur de particulier, la piste d’un décor d’intérieur commercial se dessine. Grâce à quelques maigres informations recueillies auprès du propriétaire-prêteur et du dernier vendeur, les recherches se dirigent vers une pâtisserie-confiserie Le Bras, de Dinard (35), véritable institution locale depuis la fin du XIXe siècle, très prisée des Anglais en séjour. « Nous savions que Mathurin Méheut était en relation avec la famille Le Bras puisqu’il avait réalisé le décor d’une boîte de chocolat pour eux, raconte Christian Bellec, mais nos recherches auprès des archives municipales de Dinard pour retrouver trace du décor peint dans la pâtisserie sont restées vaines ».

Le décor d’une antenne parisienne de la pâtisserie dinardaise

Coup de théâtre inattendu : le propriétaire et ses sources orientent le comité vers Paris, où, après le décès de ses deux fils et de son époux, Marie Le Bras – aidée dans ses affaires par son neveu Gaston Mongermon – avait ouvert, en 1933, une antenne de son célèbre commerce dinardais. Une seconde pâtisserie, située à l’intérieur même de la gare Saint-Lazare (qui desservait alors la Bretagne au même titre que Montparnasse). « À la suite de l’incendie d’un four, il fallait occuper l’espace le temps de refaire un mur, explique Anne Le Roux-Le Pimpec, d’où la commande du panneau à Mathurin Méheut ». En outre, apparaissent des similitudes graphiques : la présence en bas à gauche du tableau d’une cruche et d’un bol stylisés, proches de ceux visibles dans plusieurs croquis de l’artiste. Mais il en fallait plus, le double M du monogramme de l’artiste étant facilement imitable. C’est finalement dans la correspondance de Mathurin Méheut, conservée au musée de Dinan (il aura fallu éplucher toutes les lettres de l’année 1934) que l’ultime preuve de rendez-vous entre lui et la famille Le Bras-Mongermon apparaît : « À six heures, je vais voir Madame Le Bras à Terminus (actuel Hilton) », et quelques jours plus tard « Mongermon vient à la maison à 11 heures ».

Ce décor peint sera ensuite rapatrié, en 1940, à Dinard, où il restera dans les appartements privés de la famille Le Bras jusqu’en 2016, date à laquelle l’actuel propriétaire l’a acheté, ce qui explique son anonymat total. Désormais répertorié, il est un des chefs-d’œuvre de l’exposition en cours au Faouët. Et le seul vestige de la pâtisserie Le Bras, exception faite de quelques vieilles boîtes de chocolats et des souvenirs d’enfance de l’écrivain Philippe Delerm, qui évoque dans son ouvrage Le Trottoir au soleil (2011), « le petit pudding de la pâtisserie Le Bras sous l’escalier de la gare Saint-Lazare ».

Publié le 7 juillet 2021 par Charles-Henri Raffin – Le Télégramme ©